Synopsis
La comédie à l’italienne genre cinématographique qui a fait les beaux jours du cinéma entre la fin des années 1950 et le début des années 1980 reposait sur une poignée de scénaristes et de réalisateurs et sur 4 acteurs nommés affectueusement « les monstres » de la comédie à l’italienne. Ces piliers du genre sont Vittorio Gassman (1922-2000), Ugo Tognazzi (1922-1990), Nino Manfredi (1921-2004) et le plus prolifique de tous Alberto Sordi. Une génération d’acteurs qui a connu la seconde guerre mondiale suivi du boom économique et des années de plomb. Des acteurs complémentaires chacun dans un registre sensiblement différent.
Alberto Sordi se distingue de ses trois congénères par une volonté de réaliser ses propres films. Les trois autres ont bien mis en scène 4 ou 5 films chacun. Alberto Sordi en a tourné, lui, 19.
Né dans le Trastevere (quartier populaire de Rome) dès sa petite enfance le jeune Alberto Sordi amuse sa classe avec une théâtre de marionnettes. Il fait aussi parti de la chorale des enfants (voci bianchi) de la chapelle sixtine.
A 16 ans il abandonne les études et part pour Milan s’inscrire à l’accademia dei Filodrammatici de laquelle il sera éjecté pour la raison supposé (un mystère rode encore) de son accent romain dont il ne se départ pas. Plus tard comme candidat libre il obtiendra un diplôme d’ingénieur pour faire plaisir à sa mère.
Retour à Rome.
En 1937 il est figurant dans un peplum « Scipion l’africain » (« Scipione l’africano« ) de Carmino Gallone. La figuration n’est pas son seul gagne-pain il fait aussi du doublage. Il est la voix italienne de Oliver Hardy. Il sera aussi la doublure voix de Rober Mitchum ou Anthony Quinn entre autres. Il lui arrive même de doubler d’autres italiens comme Franco Fabrizi et Marcello Mastroianni. Grâce au système spécifiquement italien de la postsynchronisation qui permet de ne pas conserver la voix de l’acteur et la remplacer par celle d’un autre acteur.
En 1940 il participe à la campagne comme soldat dans la fanfare pour la campagne française. Mais il est très vite démobilisé et continue ses activités artistiques, notamment au théâtre de comédie.
Mais c’est à partir de 1946 et jusqu’en 1953 qu’Alberto Sordi gagne en célébrité à la radio. Ses émissions comiques sont de véritables rendez-vous pour les auditeurs. Cela ne l’empêche pas de tourner beaucoup de seconds rôles ou d’apparitions durant ses années.
Son premier grand rôle il le trouve dans le film de Renato Castellani « Sous le soleil de Rome » (« Sotto il sole di Roma« ) 1948 où il interprète un rôle de personnage négatif qui plus est dans un drame néoréaliste. Succès avant tout critique. Le film est primé à la Mostra de Venise.
En 1951 Alberto Sordi co-signe son premier scénario avec Cesare Zavattini pour le film « Mamma mia, che impressione! » de Roberto Savarese.
Quand en 1952 il tourne « Le sheik blanc » de Federico Fellini c’est un premier succès public pour Alberto Sordi qui incarne un quasi premier rôle (ou un grand second rôle) et le réalisateur.
l’année suivante Fellini rappelle Alberto Sordi pour « Les inutiles » (« I vitelloni« ) dans un film plus choral Alberto Sordi partage l’affiche avec Franco Interlenghi, Franco Fabrizi, Leopoldo Trieste et Riccardo Fellini.
La carrière d’Alberto Sordi est définitivement lancée et la prédilection de l’acteur penchera vers la comédie. Il rencontrera le réalisateur Steno (Stefano Vanzina) avec lequel il tourne « Un giorno in pretura » (1953) « Un americano a Roma » (1954) pour lesquels il collabore à l’écriture et « Piccola posta » (1955).
Cette même année Alberto Sordi tourne avec Luigi Zampa ce qui sera les prémices de La comédie à l’italienne. Précédé par « Les années difficiles » « Anni difficili » (1948) et « Anni facili » (1953) « L’art de se débrouiller » (« L’arte di arrangiarsi« ) (1955) nous montre un sicilien veule, magouilleur, prêt à tout pour monter dans l’échelle sociale quitte à renier ce qu’il était 5 minutes auparavant. Ce film est un festival de retournement de vestes. Avec ce film Alberto Sordi assoit son personnage d’italien moyen.
Il le peaufinera au long de sa filmographie.
La même année il tourne 8 autres films dont un tout petit rôle avec Sophia Loren dans un film de Dino Risi « Le signe de Vénus » (« Il segno di Venere« ). Il rencontre sur un plateau pour la première fois l’actrice milanaise Franca Valeri avec laquelle il tournera ses premiers grands films issus de la comédie à l’italienne. Il tourne aussi sous la direction de Luigi Comencini dans « La belle de Rome » avec une star de italienne de l’époque Silvana Pampanini.
Toujours en 1955 il tourne une comédie de mœurs « Le célibataire » (« Lo scapolo« ) de Antonio Pietrangeli. Il a pour partenaires Nino Manfredi et Virna Lisi.
Il s’approche de la comédie à l’italienne avec « Un héros de notre temps » (« Un eroe dei nostri tempi« ) (1955) de Mario Monicelli avec Franca Valeri. Rodolfo Sonego est au scénario.
L’année suivante dans une coproduction franco italienne et sous la caméra de Mario Soldati il rejoint la superstar française de la comédie Fernandel pour le film « Sous le ciel de Provence« .
Il rencontre Mauro Bolognini avec lequel il tourne « Guardia, guardia scelta, brigadiere e maresciallo » (1956) une comédie qui n’entre pas dans le panthéon des films du réalisateur plus doué pour les drames.
Film contemporain au film de Mario Monicelli « Le pigeon » (« I soliti ignoti« ) (1958) maître étalon de la comédie à l’italienne, « Il marito » est écrit par 6 scénaristes. Parmi lesquels les futurs grands de la comédie à l’italienne. Alberto Sordi, Rodolfo Sonego, Ettore Scola et Ruggero Maccari ainsi que Nanni Loy co-réalisateur du film.
« Ladro lui, ladra lei » (1958) de Luigi Zampa permet à Alberto Sordi de s’affirmer en tant que scénariste. Ici il co-écrit avec Luigi Zampa et Pasquale Festa Campanile.
En 1959 Alberto Sordi tourne dans 15 films. Il faut dire que le cinéma italien est en plein essor. Ce n’est pas encore l’âge d’or mais cela ne va pas tarder. C’est aussi l’année la plus prolifique du comédien.
Parmi les films notables de cette fructueuse année on note « Il moralista » satire politique de Giorgio Bianchi dans laquelle il joue un homme politique véreux qui donne des leçons de vie et de bienséance aux autres, « Professione magliari » de Francesco Rosi, et « Le veuf » (« Il vedovo« ) de Dino Risi. Le duo Franca Valeri – Alberto Sordi y est formidable.
Mais il tourne surtout un des chef d’œuvres de la comédie à l’italienne, « La grande guerre » (« La grande guerra« ) de Mario Monicelli. Le tandem Vittorio Gassman/Alberto Sordi est plongé dans les affres de la guerre de 1914-1918. Les tribulations d’un romain et d’un milanais qui cherchent à se sortir indemne de la guerre est un immense succès en Italie mais aussi sur le marché international.
Les deux acteurs reçoivent le David di Donatello du meilleur acteur. Le film est nommé aux Oscars et Golden Globe. Il reçoit le Lion D’or à Venise.
Alberto Sordi l’année suivante remporte un nouveau David pour le film de Luigi Comencini « La grande pagaille » (« Tutti a casa« ) (1960). Le film s’intéresse à la période très trouble et étrange de 1943 où à la chute de Mussolini, le roi en fuite et un gouvernement fantôme sont les réalités du pays. Les troupes italiennes sans commandement sont en débandade, un armistice est signé par le maréchal Badoglio, les alliés allemands qui occupent encore le pays deviennent des ennemis. Les soldats cherchent à rentrer chez eux mais c’est plus facile à dire qu’à faire en ces temps incertains et dangereux.
Cette même année il tourne « L’agent« (« Il vigile« ) de Luigi Zampa qui se base sur un fait réel dans lequel un puissant pris en défaut par un policier de la route, retourne la situation entre menaces sur son travail et chantage sur sa vie privée.
1961 Alberto Sordi tourne « Une vie difficile » (« Una vita difficile« ) de Dino Risi. Grand film de la comédie à l’italienne qui n’est pas le plus connu du réalisateur ou de l’acteur mais qui mérite une belle place dans la filmographie des deux hommes.
Alberto Sordi enchaîne les grands films de sa carrière. « Mafioso » (« Il mafioso« ) (1962) de Alberto Lattuada et « Le commissaire » (« Il commissario« ) (1962) de Luigi Comencini.
Avec « L’amour à la suédoise » (« Il diavolo« ), (1963) la comédie à l’italienne s’aère et s’expatrie. Ce sera un des sous genre de la comédie à l’italienne, appelée comédie de voyage. « Fumo di Londra » (1966) d’Alberto Sordi, « Un italiano in America » (1967) toujours d’Alberto Sordi, « Riusciranno i nostri eroi a ritrovare l’amico misteriosamente scomparso in Africa? » (1968) d’Ettore Scola « Bello, onesto, emigrato Australia sposerebbe compaesana illibata » (1971) de Luigi Zampa et autres sont de ces comédies à l’italienne qui seront tournées ailleurs qu’en Italie.
Déjà avec « Mafioso » une petite partie du film se situait à New York.
En 1963 Alberto Sordi tourne pour Vittorio De Sica dans « Il boom » une comédie acide sur la société des années du « miracle économique » tel que le nomme les italiens et du rapport à l’argent qu’ont les italiens de la classe moyenne qui cherchent à se hisser au plus haut de l’échelle sociale.
Alberto Sordi tourne aussi dans des films à sketchs genre très en vogue dans les années 1960. « La mia signora » (1964) de Tinto Brass, Luigi Comencini et Mauro Bolognini. « I tre volti » (1965) de Michelangelo Antonioni, Mauro Bolognini et Franco Indovina, « Le fate » (1965) de Luciano Salce, Mario Monicelli et Antonio Pietrangeli. Entre autres.
En 1965 il tourne dans une superproduction internationale d’aventures et de comédie. « Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines » (« Those magnificent men in their flying machines, or: how I flew from London to Paris in 25 hours and 11 minutes« ) de Ken Annakin.
Cette même année il tourne dans un des trois segments du film à sketchs « Les complexés » (« I complessi« ). Il interprète Guglielmo « il dentone » candidat au poste de présentateur des informations sur la RAI. C’est le meilleur des trois sketchs, alors que les deux précédents interprétés par Nino Manfredi et Ugo Tognazzi sont déjà très réussis.
L’année suivante Alberto Sordi écrit un scénario avec Sergio Amidei et le réalise. « Fumo di Londra » (1966), première réalisation de l’acteur s’inspire de « L’amour à la suédoise » (« Il diavolo« ) (1963) et transpose l’action dans la capitale de Grande Bretagne. Au passage il remporte son troisième David di Donatello.
Le film est un succès public et critique et l’entraîne après deux tournages de films à sketchs à réécrire avec Sergio Amidei et Dario Argento et à revenir à la réalisation pour « Scusi lei è favorevole o contrario?« . Le film a pour thème le divorce l’acteur se trouve entourée d’une nuée d’actrices. S’il maintient le succès public, il a plus de mal à convaincre la critique.
Avec « Il medico della mutua » (1968), il retrouve Luigi Zampa. Alberto Sordi est une fois de plus co-auteur du film avec Sergio Amidei. Le film tiré d’un roman écrit par un médecin de Bologne est un pamphlet sur le système de la médecine d’Etat, des passe-droit et de la corruption qui l’accompagne et la politique du chiffre d’affaires portée à son paroxysme. Cette comédie à l’italienne est l’une des plus pointue dans la critique d’un système. Et un grand succès public.
Il tourne cette même année avec Ettore Scola pour les aventures africaines de « Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique? » « Riusciranno i nostri eroi a ritrovare l’amico misteriosamente scomparso in Africa?« . Ettore Scola montre déjà la désillusion de la gauche italienne qui pointe son nez et qui éclatera dans son chef d’oeuvre « Nous nous sommes tant aimés » (« C’eravamo tanto amati« ) (1974).
Alberto Sordi tourne son 4ème film « Amore mio aiutami » (1969). Une tragi-comédie ratée malgré le duo Alberto Sordi/Monica Vitti. Les trois scénaristes Tullio Pinelli, Rodolfo Sonego et Alberto Sordi ne parviennent pas à maintenir la comédie qui vire à la bouffonnerie et désempare le spectateur.
Il tourne dans un film en costumes « Les conspirateurs » (« Nell’anno del signore« ) (1969). Grosse distribution dans laquelle il côtoie Nino Manfredi, Ugo Tognazzi, Claudia Cardinale, Britt Ekland, Robert Hossein… Le film historique de Luigi Magni est un gros succès.
Puis il enchaîne avec une suite du film « Il medico della mutua » avec un titre dont les italiens ont le secret : « Il Prof. Dott. Guido Tersilli primario della Clinica Villa Celeste convenzionata con le mutue » de Luciano Salce. Le film cartonne au cinéma.
En 1971 avec « Détenu en attente de jugement » (« Detenuto in attesa di giudizio« ) de Nanni Loy, la comédie à l’italienne se fait plus amère et plus politique. Alberto Sordi soumet l’idée du film après avoir entendu un témoignage d’un homme accusé à tort et qui s’est trouvé pris dans les rouages d’une machine infernale. Il est l’interprète idéal pour jouer un homme sûr de lui, qui se fait broyer par l’institution judiciaire italienne.
L’année suivante c’est un chef d’oeuvre de la comédie à l’italienne dans laquelle Alberto Sordi donne tout son talent. « L’argent de la vieille » (« Lo scopone scientifico« ) (1972) de Luigi Comencini raconte l’histoire d’une famille de pauvres romains qui sont les partenaires favoris d’une vieille américaine riche à millions et qui se font rincer, au jeu de la scoppa, le peu qu’ils ont. Film qui interroge sur une meilleure répartition des richesses par la comédie féroce.
La même année il tourne un film mineur d’Ettore Scola « La plus belle soirée de ma vie » (« La più bella serata della mia vita« ) Un riche industriel italien qui vient planquer son argent en suisse est attiré par une superbe motarde dans un château. Là l’attend un simili tribunal de magistrats à la retraite.
Alberto Sordi jouera dans quelques films jusqu’en 1977 où il tourne deux ultimes chef d’oeuvre.
Tout d’abord un film de Mario Monicelli. « Un bourgeois tout petit, petit » (« Un borghese piccolo piccolo« ). Où la comédie à l’italienne rencontre la violence des années de plomb. Alberto Sordi y incarne un romain petit fonctionnaire effacé voire humilié dans son travail qui bascule dans la violence. Il fait très grosse impression à l’aise dans tous les registres.
Second chef d’oeuvre, le sketch « Premiers soins » du film inégal « Les nouveaux monstres » (« I nuovi mostri« ) (1977) signé encore Mario Monicelli. Il y interprète une sorte d’aristocrate partouzard qui vient en aide à un clochard accidenté sur la chaussée en pleine nuit. Désopilant! On le retrouve dans deux autres sketchs signés Ettore Scola « Comme une reine » où il remet lâchement sa mère dans une maison de retraite, et « L’éloge funèbre » dans lequel il transforme un discours en hommage à un mort, devant sa tombe, en numéro de cabaret.
Ces deux films sonnent le glas de la comédie à l’italienne et du grand cinéma italien qui sombre dans une crise sans précédent avec les années 1980 et l’hégémonie de la télévision façon Berlusconi.
Alberto Sordi tente tant bien que mal de mener un projet de film par an. on retiendra la comédie « Je sais que tu sais… » (« Io so che tu sai que io so« ) (1982) co-écrit avec Rodolfo Sonego et avec pour partenaire de jeu Monica Vitti, mais aussi « Tutti dentro » (1984) et « In nome del popolo sovrano » (1990), film en costumes avec Nino Manfredi et Jacques Perrin.
Alberto Sordi meurt d’une insuffisance respiratoire à l’âge de 82 ans le 24 février 2003.
L’Italie entière rend hommage à l’acteur et à l’homme.